
Nancy Riopel
PARTIE 2
Au moment d’écrire ces lignes, 87 jours ont passé depuis que j’ai reçu le diagnostic de CCIS. Pas un seul ne s’est écoulé sans que je ne pense au cancer du sein à plusieurs reprises. Ce diagnostic a changé ma vie : il m’a privée de ma paix d’esprit et de mon image de femme en santé. Bien que je ne me considère pas comme une « patiente atteinte de cancer » ni une « survivante du cancer », je vis avec un degré important de crainte de la maladie qui ne faisait pas partie de ma vie auparavant. Je me demande même si je ne souffre pas d’un trouble du stress post-traumatique (TSPT) à un certain degré. Le mot MASTECTOMIE fait remonter tellement d’émotions en moi qu’il me donne des étourdissements et des nausées.
Comme je l’ai mentionné dans mon premier billet, je dois ma vie à ma sœur, ou du moins mon sein droit, parce qu’elle m’a encouragée à effectuer des recherches par moi-même avant de prendre une décision sur les traitements à envisager. Cette fois, j’ai donc fouillé Internet pour trouver de l’information sur le CCIS et ses différents traitements, au lieu de magasiner des prothèses de mamelons. Plus j’en apprends au sujet du CCIS, plus je suis convaincue que l’approche consistant à « patienter et à observer » ou encore à « surveiller activement » mon dossier est la seule à laquelle je suis disposée à me prêter.

Au moment de rencontrer mon médecin de famille, moins d’une semaine après le fameux rendez-vous avec mon chirurgien plasticien, j’étais armée de statistiques sur la possibilité que le CCIS devienne un cancer du sein invasif, je savais qu’il y avait suffisamment de recherches menées sur la surveillance active pour que trois études à grande échelle assignent aléatoirement le traitement habituel ou la surveillance active aux participantes, et j’avais l’intuition qu’une grave dépression me guettait si j’allais de l’avant avec la mastectomie, surtout si le rapport de pathologie indiquait par la suite qu’aucune trace de CCIS n’avait été retrouvée.
Mon médecin a confirmé ce que je pensais : que j’avais du temps pour faire des recherches et décider de ce qui était le mieux pour moi. Ensemble, nous avons convenu que je subirais une mammographie et que je prendrais rendez-vous avez un chirurgien général près de chez moi, ainsi qu’avec des spécialistes en oncologie. Mon médecin de famille croyait que je devais attendre un peu avant de voir le chirurgien généraliste recommandé par mon plasticien.
Donc, lorsque l’infirmière de ce dernier (le chirurgien recommandé par mon plasticien) m’a téléphoné pour me donner rendez-vous, je lui ai répondu ce que m’avait dit mon médecin de famille et j’ai rajouté que j’étais d’accord pour suivre son conseil. Je les ai avisés que je souhaitais prendre mon temps et j’ai demandé que l’on conserve ma référence pour plus tard. J’ai ajouté que j’avais l’intention de consulter un chirurgien plus près de chez moi, de même qu’une équipe d’oncologues, avant de prendre une décision sur la suite des choses. J’ai aussi indiqué que je téléphonerais lorsque j’aurais eu plus d’information. L’infirmière à qui je parlais est devenue très agitée et m’a expliqué nerveusement qu’elle ne pouvait pas du tout mettre ma référence en attente. Elle m’a dit que je devais absolument voir le chirurgien lors de sa prochaine clinique et que j’avais sans aucun doute besoin d’une chirurgie. Elle a ajouté que si je n’acceptais pas le rendez-vous qu’elle m’offrait, elle serait forcée d’inscrire un « refus de traitement » à mon dossier. Nous avons argumenté comme ça encore dix bonnes minutes avant que je décide enfin d’accepter le rendez-vous, pour mettre fin à cette conversation qui commençait à me stresser et à me mettre en colère. Je dois dire que je n’avais pas l’intention de m’y rendre. Par la suite, j’ai annulé et j’ai déposé une plainte officielle concernant la manière dont j’avais été traitée.
Lorsque la réceptionniste de l’autre chirurgien généraliste m’a téléphoné pour m’offrir un rendez-vous, je l’ai avisée que je n’avais aucune intention de subir une chirurgie. Elle m’a répondu qu’elle me donnerait alors un rendez-vous plus long pour que le chirurgien puisse avoir le temps de discuter avec moi des différentes options de traitement. J’étais contente, je pensais que je faisais du progrès et que j’allais enfin pouvoir explorer la route de la surveillance active avec un professionnel de la santé.
En vérité, ce rendez-vous s’est avéré HORRIBLE et me laisse nauséeuse lorsque j’y repense. Mon thérapeute croit même qu’il m’a fait développer un TSPT. Lorsque mon mari et moi sommes arrivés au bureau du chirurgien, ce dernier m’a immédiatement indiqué qu’il n’avait pas reçu les documents que devait lui envoyer le chirurgien généraliste recommandé par mon plasticien. Je lui ai alors expliqué que j’avais reporté cette autre consultation chirurgicale pour l’instant. Il a commencé d’emblée à me faire des recommandations, uniquement sur la base du rapport de pathologie que mon médecin de famille lui avait transmis, soit l’énoncé indiquant qu’un CCIS de grade 2 avec comédo-nécrose avait été retrouvé dans les tissus retirés lors d’une réduction mammaire de routine. Ici, il est important de noter que le chirurgien formulait ses recommandations sur un CCIS dont on ne savait même pas si des résidus se trouvaient dans mon corps. Je n’avais pas subi de mammographie ni d’échographie à ce moment; lesquelles, une fois qu'elles ont été effectuées, n’ont révélé aucun signe de la maladie, en passant.
Est-ce que j’ai mentionné que le chirurgien ne s’est présenté à moi ni ne m’a offert de commentaires empathiques au sujet de mon diagnostic? Lorsque le chirurgien a fait mention de la mastectomie pour la première fois, j’ai immédiatement rétorqué que je ne souhaitais pas subir de mastectomie ni aucune autre sorte de chirurgie. Il m’a alors simplement répondu que c’était la SEULE option dans mon cas. Je me suis mise à SANGLOTER DE MANIÈRE INCONTRÔLABLE. Je pleurais tellement que je ne pouvais plus le voir, ni même l'entendre insister sur le fait que je « devais » subir une mastectomie et qu’il s’agissait de la NORME DE TRAITEMENT. Enfin, que je n’avais PAS D’AUTRE CHOIX. Devant mon refus obstiné, et mes sanglots de plus en plus intenses, si une telle chose était possible, il m’a dit que je pouvais « REFUSER LE TRAITEMENT » et que « personne ne me forcerait à subir de mastectomie », mais qu’il croyait que je ferais une GROSSIÈRE ERREUR en ne suivant pas ses recommandations. Plus il parlait et plus il insistait sur le fait que je devais subir une mastectomie, plus il renforçait ma décision de REFUSER le traitement.
À un moment donné, je me suis ressaisie et j’ai demandé de l’information sur les risques de la mastectomie. J’avais lu qu’il pouvait survenir des infections, un lymphœdème et de la douleur chronique, des complications qui me laissaient croire que les risques de la chirurgie surpassaient ceux d’être atteinte d’un cancer du sein invasif et qui me faisaient aussi pencher vers la surveillance active. J’avais espéré que le chirurgien reconnaîtrait les risques de la mastectomie et m’aiderait à considérer les avantages et les inconvénients de la surveillance active par rapport à la chirurgie. Malheureusement, il en a plutôt minimisé l’importance, indiquant qu’il n’avait jamais eu de patientes à qui une mastectomie avait causé par la suite de la douleur chronique, et que le lymphœdème était habituellement léger et temporaire. L’opinion du chirurgien selon laquelle il n’y avait peu ou pas de risques associés à la mastectomie, et que cette dernière était la norme en matière de traitement dans mon cas a fait en sorte qu'il a totalement ignoré mes questions sur la surveillance active ou l’observation.
J’ai continué de refuser ses recommandations, et il a continué à me mettre en garde qu’il s’agissait là d’une TERRIBLE ERREUR. Le chirurgien s’est finalement levé et a quitté le bureau en me disant qu’il ne comprenait pas du tout pourquoi on m’avait dirigée vers lui. Il n'a pas terminé la conversation, ni dit au revoir, ni souhaité bonne chance. Pire, même si je sanglotais encore, il ne m’a pas dit de prendre tout le temps que je voulais pour me remettre de mes émotions avant de quitter le bureau, il n’a pas non plus refermé la porte derrière lui. Le chirurgien m’a laissé seule dans le bureau, la porte ouverte, donnant aux patientes et aux patients de la salle d’attente le loisir d’assister au spectacle de la femme en détresse que j’étais devenue.
Bien que mon rendez-vous avec l’équipe d’oncologues ait beaucoup mieux débuté, les choses se sont envenimées lorsque j’ai indiqué que je refusais le tamoxifène et les traitements de radiation, en plus de la chirurgie. Mais nous reparlerons de tout cela un autre jour; tout ce qu’il faut savoir pour l’instant c’est que je leur ai demandé de fermer mon dossier et que je n’ai pas l’intention de retourner les voir de sitôt. Je promets de tout vous raconter dans mon prochain billet.
Si vous ne deviez retenir qu’une chose de mon expérience, c’est l’importance de s’informer et d’être disposée à se battre pour obtenir les options de traitement qu’on croit les meilleures pour soi. Ce qui est maintenant le plus important pour moi, c’est de travailler avec des professionnels de la santé qui me considèrent comme une PERSONNE À PART ENTIÈRE, pas juste comme un cancer; celui qui se trouve dans un laboratoire de pathologie quelque part à Toronto – parce que ma mammographie et mon échographie n’ont montré aucun signe de la maladie. Je ne suis pas un CCIS, je ne suis pas une « tumeur » et je ne suis pas qu’une « patiente ». Je suis une mère, une fille, une sœur et une amie. J’ai un corps, mais ce n’est pas tout : je suis la somme de mes connaissances et de mon expérience, un être spirituel et émotionnel. Les professionnels de la santé qui refusent de prendre en compte toutes les facettes de ma personne ne sont pas les professionnels pour moi.