Nancy Riopel

Avez-vous déjà entendu parler du CCIS? Savez-vous de quoi il s’agit? Avant de recevoir un diagnostic de ce que les médecins appellent un cancer du sein stade 0 en février 2019, moi non plus je n’avais jamais entendu parler du carcinome canalaire in situ (CCIS). Laissez-moi vous dire que ce nom a capté toute mon attention et qu’il m’a même poussée à magasiner les artistes tatoueurs de faux mamelons dans les 12 heures qui ont suivi ma découverte.

J’ai reçu mon diagnostic de cancer de manière très différente de la majorité des femmes. En effet, la plupart des CCIS sont découverts lors d’une mammographie et confirmés par un type ou l’autre de biopsie. Mon parcours a commencé autrement, c’est le moins qu’on puisse dire, puisque je n’ai même jamais eu de mammographie.

On m’a diagnostiqué un CCIS au cours de la vérification des tissus qui a suivi ma réduction mammaire. Je ne le savais pas, mais il semble que les tissus que l’on retire dans le cadre d’une chirurgie sont soumis à un dépistage de routine du « cancer ». On repassera pour le « consentement éclairé »! Enfin, toujours est-il que deux mois après ma réduction mammaire, j’ai reçu un appel du bureau de mon chirurgien plasticien pour m’aviser que ce dernier souhaitait me voir tout de suite le lendemain concernant « quelque chose » qui figurait à mon rapport de pathologie.

J’étais assise sur la table d’examen, plutôt mal à l’aise dans ma chemise d’hôpital ouverte à l’avant, quand mon chirurgien plasticien assis à son ordinateur, me tournant le dos, s’est mis à lire mon rapport de pathologie à voix haute. Tout ce que je me rappelle c’est avoir entendu le mot « carcinome » et avoir regardé mon mari assis dans la chaise réservée à l’accompagnateur, à 5 pieds de moi et de la table d’examen, articuler le mot « tumeur » sans émettre un son. Je ne me souviens plus vraiment de ce que le médecin a dit par la suite, je me rappelle seulement qu’il n’a jamais ralenti sa lecture, ni ne s’est tourné vers moi. Il a simplement continué à lire. 

Je me suis dit : « Oh, mon dieu, je crois que je vais vomir ou m’évanouir! ». Je suis descendue lentement de la table d’examen, je me suis approchée de mon mari assis à l’autre bout de la salle et je me suis mise à pleurer. Le chirurgien plasticien s’est enfin tourné vers moi, pour partir à la recherche de papiers mouchoirs. Pendant les minutes qui ont suivi, il m’a expliqué que j’avais effectivement le cancer, mais que c’était LE MEILLEUR TYPE DE CANCER qui soit. Il m’a dit que les chances de GUÉRISON étaient de 100 % et que tout ce qu’il y aurait à faire, c’est une SIMPLE MASTECTOMIE. « Simple, une mastectomie; comment enlever un sein à quelqu’un pourrait-il être simple? » Il m’a expliqué que puisque mon « cancer » avait été découvert à la suite d'une réduction mammaire, il n’y avait aucun moyen de savoir s’il avait été retiré en entier ou seulement en partie. Il n’y avait pas non plus moyen de le vérifier parce qu’on ne connaissait pas la zone exacte de mon sein d’où provenaient les tissus qui avaient été analysés et qu’on n’avait donc aucun indice quant à l’emplacement possible de « résidus ». En moins de 10 minutes, on m’a non seulement annoncé que j’avais le cancer, mais aussi que j’allais perdre le sein droit. La « tumorectomie » ne pouvait être envisagée dans mon cas parce qu’on ne savait pas et qu’on ne pouvait apparemment pas chercher à savoir où avait été ou où se trouvait encore la tumeur. Le chirurgien plasticien m’a aussi expliqué que puisque j’avais subi une réduction mammaire, il n’y aurait pas moyen de conserver mon mamelon parce que son seul apport de sang provenait maintenant du tissu mammaire qui le soutenait (la peau autour du mamelon ayant été entièrement retirée au cours de la réduction) et que ce tissu devrait être retiré complètement pour s’assurer que toutes les cellules cancéreuses seraient éliminées, le cas échéant.

Comme si le choc d’apprendre que j’avais le cancer et que je perdrais mon sein n’était pas assez, j’ai dû passer les 45 minutes suivantes à écouter le chirurgien plasticien s’étendre sur ce qu’il considérait comme d’excellentes nouvelles. Il m’a expliqué que je pourrais avoir une reconstruction mammaire immédiate et il est entré dans les détails en m’exposant les différentes options qui s’offraient à moi pour ce qui était de prélever du tissu et du gras ailleurs sur mon corps (mon ventre ou mon dos) afin de me reconstruire un « nouveau » sein.

Après ces explications sordides, il m’a confié qu’il préférait effectuer une reconstruction à l’aide d’implants. Il m’a longuement parlé des implants « bosselés » qui venaient d’être retirés de certains marchés parce qu’on les soupçonnait de causer le cancer, se targuant du fait que même si la loi ne l’y obligeait pas, il préférait n’utiliser que des implants lisses. Mon mari me souffle qu’il a également décrit comment il s’y prendrait pour couper les muscles de ma poitrine et placer l’implant derrière afin « qu’il ait l’air plus naturel », mais sincèrement, je ne me souviens pas de grand-chose de cette conversation, simplement d’avoir fixé, le regard vide, le « sac de silicone » qui allait remplacer mon sein. Quand j’y repense maintenant, le sujet principal du rendez-vous n’a pas été de m’informer sur mon « cancer », ni même de m’expliquer les traitements qui s’offraient à moi. Le but du rendez-vous a plutôt été de me « vendre » la reconstruction mammaire. J’aurais tout aussi bien pu être en train d’acheter une voiture tellement les arguments de vente étaient ressemblants. En fait, si j’avais été en train d’acheter une voiture, plutôt que de choisir un traitement, j’aurais au moins pu essayer quelques modèles, obtenir de l’information sur la consommation en carburant de chacun et avoir la chance de magasiner un peu avant de faire mon choix.

Mon chirurgien plasticien nous a dit qu’étant donné que mon « cancer » serait totalement guéri par la chirurgie, je n’aurais même pas besoin de voir d’oncologue. Il m’a offert de me diriger vers un chirurgien généraliste avec qui il travaillerait pour effectuer ma chirurgie le plus tôt possible afin que je puisse passer à autre chose dans quelques mois. À ce moment, je me rappelle que j’étais contente. J’ai dit à mon mari que je me sentais beaucoup mieux maintenant que je savais que je n’aurais pas à voir d’oncologue. Je me souviens aussi d’avoir souhaité que mon chirurgien se dépêche de prendre le rendez-vous en question afin que je puisse oublier tout ça et reprendre ma vie normale.

Sur le chemin du retour, j’ai téléphoné à chacune de mes sœurs pour leur apprendre la nouvelle. Je leur ai expliqué que j’avais « le meilleur type de cancer possible » et que je passerais bientôt sous le bistouri pour me faire enlever le sein et la totalité de la tumeur. Je me suis excusée auprès d’elles pour avoir du coup « augmenté » leur risque de cancer du sein et je les ai encouragées à parler de mon diagnostic à leur médecin afin qu’elles n’aient pas à traverser la même chose que moi. Je leur ai dit que j’étais solide, et qu’il n’y avait rien à craindre parce que ce type de cancer ne tuait pas. Nous avons toutes convenu que j’étais chanceuse d’avoir eu une réduction mammaire et que la tumeur ait pu être décelée avant de devenir dangereuse.

Cette nuit-là, j’ai navigué sur Internet pour magasiner un mamelon de remplacement; pas pour faire des recherches sur le CCIS, ni pour explorer mes options de traitement ou mieux comprendre les taux de survie de ce cancer, non : pour magasiner un mamelon. J’étais dévastée par la perspective de perdre une partie de moi-même.

Le lendemain, une de mes sœurs m’a posé par message texte la question qui changerait entièrement mon approche face à cette montagne russe qui m’attendait : « Vas-tu vraiment te contenter des recommandations d’un chirurgien plasticien pour traiter ton cancer? ». Elle m’a vivement conseillé de me renseigner et de chercher l’aide des meilleurs médecins dans le domaine. Elle m’a rappelé que dans notre région du nord de la province, il arrive que des médecins, des oncologues même, soient moins au fait des traitements de pointe qui existent et m’a fortement incitée à me rendre dans un grand centre comme Toronto ou Ottawa, ou même à venir la retrouver à Winnipeg, pour solliciter l’opinion de médecins spécialisés dans le traitement du cancer du sein.

Eh bien, je lui dois la vie, ou du moins mon sein droit, parce qu’en l’écoutant, je me suis renseignée et j’ai appris que le diagnostic du CCIS était très controversé. J’ai appris que certains médecins exercent actuellement des pressions pour changer le nom du diagnostic afin d’y exclure le terme « carcinome ». J’ai appris qu’on pouvait mieux décrire le CCIS en disant qu’il s’agissait d’un « précurseur non obligatoire » du cancer du sein, ce qui signifie que seulement certains CCIS deviennent un type de cancer devant être traité. J’ai appris que dans peut-être 70 ou 80 % des diagnostics, le CCIS en question demeurait une lésion irrégulière ne causant aucun symptôme. Enfin, j’ai appris qu’il y a trois études à grande échelle en cours explorant l’option d’effectuer une surveillance active en cas de CCIS.

Vous devez vous dire que je devais être contente d’apprendre tout cela et que cela a dû me permettre d’oublier le diagnostic en question et de reprendre mes activités. Malheureusement, je ne le savais pas, mais mon petit wagon de montagne russe venait plutôt de prendre de la vitesse. Je passerais les deux mois suivants à tenter de convaincre le milieu de la santé que je ne cherchais pas à me « suicider » en « refusant » de me soumettre aux normes médicales occidentales.

Dans les prochains mois, je vous en dirai plus sur mon parcours difficile, mais ô combien enrichissant! J’espère pouvoir partager avec vous tout ce que j’ai appris sur le CCIS, mais aussi sur la médecine occidentale et cette nécessité pour les femmes de se RENSEIGNER avant de recevoir un diagnostic. Et pas seulement sur la santé du sein ou la santé en général, mais aussi sur la médecine occidentale, les normes de soins médicaux et plus important encore, les moyens de défendre leurs droits.