Par Naiké Ledan, Patricia Kearns et Jennifer Beeman

En février, Action cancer du sein du Québec (ACS-Qc) a mis fin à 3i. Financé par Condition féminine Canada, cet important projet visait à lever les obstacles auxquels sont confrontées les filles et les jeunes femmes provenant de différents milieux et aspirant à participer à la vie civique, politique et communautaire. Le projet a également servi à renforcer leur autonomie, notamment en les aidant à prendre leur santé en main.

Les résultats ont largement dépassé les objectifs, et le volet jeunesse d’ACS-Qc s’en est trouvé métamorphosé. Jeune animatrice douée, notre coordonnatrice jeunesse, Naïké Ledan, a mis ses compétences à profit et, travaillant dans un cadre anti-oppression axé sur la justice sociale, elle a chapeauté et actualisé nos ateliers d’éducation populaire destinés aux jeunes.

L’une des premières tâches de Naïké, en 2013, a été d’établir de solides partenariats avec des organismes communautaires pertinents travaillant auprès des jeunes. Elle a impliqué des leaders de différents quartiers montréalais — de Rivière-des-Prairies à Côte-des-Neige — afin d’identifier les ressources qui répondent aux besoins des filles désireuses de prendre leur place en tant qu’actrices de leur vie civique et communautaire et les obstacles qui, au contraire, constituent un frein. Une fois les besoins évalués et les écueils identifiés, Naïké était fin prête à mobiliser les jeunes femmes. Ensemble, elles ont développé des stratégies pour faire face aux difficultés présentes dans leurs milieux, particulièrement en matière de santé et d’estime de soi des jeunes filles.

Ce fut l’occasion pour ACS-Qc d’accueillir de nombreux nouveaux visages. La confiance a mis quelque temps à s’installer, mais Naïké s’est montrée patiente et a pu présenter aux jeunes femmes des exercices destinés à les faire réfléchir de façon originale à leurs expériences de vie. Combinant jeu et réflexion sérieuse, ces exercices leur ont permis de creuser le vaste sujet des stéréotypes culturels et sexuels et des expériences difficiles et complexes. Lorsqu’elles ont commencé à s’ouvrir et à parler de leurs expériences, Naïké s’est effacée et a pratiqué ce qu’elle appelle « l’écoute active ». Pour que ses collaboratrices deviennent des leaders dans leurs milieux, Naïké leur a demandé d’imaginer des actions menées par des filles qui pourraient avoir un réel impact là où elles vivent. Quelles actions pourraient fonctionner? Que considéraient-elles comme important pour elles-mêmes et les autres filles de leurs communautés?

Six groupes distincts ont participé au projet. Naïké a aidé ces filles à travailler ensemble pour analyser elles-mêmes leurs expériences et créer des œuvres collectives exprimant leurs visions par l’art.

Au début de l’été 2014, cinq des groupes avaient terminé, avec succès, leurs actions menées par des filles (le sixième allait se rencontrer après le Forum). Pendant la belle saison, Naïké a réfléchi au meilleur moyen de faire part des résultats du projet 3i à toutes les participantes, aux partenaires du milieu, aux bailleurs de fonds et aux autres parties intéressées. C’est alors qu’elle a imaginé un événement d’une journée pendant laquelle les participantes pourraient présenter leurs réalisations. Elle souhaitait, par cet événement, célébrer leur travail et leur engagement envers le projet 3i tout en leur offrant un cadeau inspirant, qu’elles n’allaient pas oublier de sitôt.

Le Forum 3i du 10 octobre 2014 au Musée McCord

Naïké se savait sur la bonne voie lorsque les trois invitées spéciales qu’elle avait en tête ont accepté de participer : Cathy Wong, présidente du Conseil des Montréalaises; Sarah St-Fleur, blogueuse militant pour la diversité médiatique, mieux connue sous le nom de Queen Sized Flava; et d’bi young, poète dub et performeuse.

Naïké a aussi trouvé la bonne animatrice pour le Forum en la personne de Shawna Ketter, bénévole de longue date pour ACS-Qc. Ces invitées ont ouvert le Forum, chacune racontant avec éloquence sa propre expérience en tant que femme devenue leader dans son milieu et ayant surmonté des obstacles propres aux femmes, notamment celles venant de groupes marginalisés.

Cathy Wong a ainsi raconté comment elle s’est construit une identité propre et en est venue à accepter pleinement l’importance d’occuper des postes de pouvoir qui peuvent favoriser le changement dans son milieu. L’immigrante de deuxième génération d’origine sino-vietnamienne a dû, très tôt dans la vie, développer les compétences nécessaires pour passer d’un code à l’autre et faire le pont entre les cultures et les communautés. Sa réalité a inspiré sa formation et, au fur et à mesure qu’elle a acquis de nouvelles compétences, Cathy Wong est naturellement devenue une leader remarquable. Au Forum, elle a exhorté les jeunes femmes, particulièrement celles issues de l’immigration, à prendre leur place et à faire entendre leur voix pour que leurs communautés deviennent des lieux de partage vivants et inclusifs.

À l’instar de Cathy Wong, Sarah St-Fleur, alias Queen Sized Flava, a fait part de son expérience personnelle en tant qu’immigrante de deuxième génération. Elle aussi a dû naviguer entre les codes culturels — des codes considérablement différents selon qu’elle se trouvait à la maison ou dans la rue — pour développer les compétences permettant de gérer ces différences. Elle a aussi appris à s’aimer, à prendre conscience de sa valeur et à avoir confiance en elle, ce qui allait être essentiel pour elle en tant que jeune et grosse (c’est elle qui le dit, et avec aplomb) Noire. Grâce à sa créativité et à son magnifique sens de l’humour, plein d’intelligence, elle a su comprendre très tôt les aspects politiques de l’exclusion. Sarah St-Fleur s’est alors approprié le mot « grosse », lui accolant « belle ». Aujourd’hui, elle donne des conférences de motivation sur la diversité corporelle et travaille comme mannequin taille plus et humoriste.

L’extraordinaire d’bi young a conclu la matinée par la présentation d’une pièce créative racontant l’histoire de jeunes femmes qui réussissent à surmonter les lourds obstacles auxquelles elles sont confrontées, et à trouver le salut. Très touchante, la pièce a fait naître devant nos yeux un éventail de personnages qui ont su, à leur façon, réinventer leur destin. En racontant ces histoires, d’bi souhaitait offrir aux femmes et aux filles le cadeau de la rédemption spirituelle.

Après cette première moitié de l’événement, les jeunes responsables des cinq initiatives menées par des filles ont été invitées à monter sur scène et à présenter les connaissances et les bonnes pratiques découlant de leurs expériences.

La première à monter sur scène a été Guerlande Mathieu, étudiante en physiothérapie sportive au cégep Marie-Victorin. Son groupe était composé d’élèves de l’école secondaire Jean-Grou à Rivière-des-Prairies, une grosse école dont la population est à 90 % d’origine haïtienne. À l’aise au micro, Guerlande a expliqué que leur projet, Couleur Café/My Black is Beautiful, comprenait une série d’événements portant sur le leadership, la pensée critique et le mois de l’histoire des Noirs. Le groupe a lancé son projet pendant la semaine du 17 au 21 février, avec une exposition photo et une cérémonie d’ouverture. Les œuvres, des portraits grand format en noir et blanc, intégraient des citations inspirantes choisies par les personnes photographiées. Les activités de la semaine ont suscité une réflexion sur l’estime de soi, la croissance personnelle, la solidarité et l’action civique. Guerlande a fait part aux filles de son groupe d’une expérience personnelle particulièrement édifiante. Elle a raconté avoir coupé ses cheveux, se rebellant « contre ce qu’elle était censée être ». Comme la plupart des jeunes filles noires, elle a commencé, en grandissant, à se faire permanenter régulièrement pour empêcher ses cheveux de former un afro. « J’ai coupé mes cheveux et j’ai adoré ça! C’était génial de montrer à des jeunes filles que la rébellion est positive. » Guerlande nous a enfin présenté le joyeux court-métrage Couleur Café/My Black is Beautiful, un collage de sons et images retraçant le déroulement de ce projet 3i, et habilement réalisé par Youri-Jude Cantave.

Spencer Gallagher nous a ensuite parlé de son groupe, l’organisme communautaire LOVE (pour Leave out violence). Pour leur projet, Spencer et les filles de LOVE ont choisi de réaliser un documentaire expérimental sur l’acceptation de soi comme clé du renforcement de l’autonomie des filles. Intitulé FIND YOUR OWN TITLE, le documentaire présente trois histoires, celles de jeunes filles confrontées au sentiment d’être sans valeur, mais qui trouvent le courage de sortir de leur zone de confort. Grande réalisation faisant appel à la dramatisation, à la performance et à la déconstruction de l’image, ce film inventif a nécessité beaucoup de travail à plusieurs égards. Spencer s’est rappelé les moments de doute et d’anxiété, que ses collaboratrices ont dissipés en lui disant que, oui, elle pouvait y arriver. Et la jeune femme d’ajouter : « Maintenant, c’est terminé, et c’est bon, et nous nous sommes rapprochées dans cette expérience. » FIND YOUR OWN TITLE a été chaudement applaudi. Le film utilise l’humour, des techniques d’animation et beaucoup d’honnêteté pour illustrer la métamorphose de filles qui se sentaient peu méritantes et qui avaient l’impression d’être dans une impasse, de filles qui sont devenues créatives et qui ont pris le contrôle de leur vie.

Le troisième projet nous a été présenté par Alina Grenier-Arellano, étudiante de troisième année à McGill en développement international. Son groupe était composé de jeunes bénévoles ayant soit travaillé pour le programme jeunesse d’ACS-Q, soit exprimé le souhait de le faire. Ensemble, elles ont décidé de parfaire leurs compétences en leadership et de créer un événement s’adressant aux jeunes filles de 14 à 18 ans. Le thème? Les effets des attentes culturelles et des normes comportementales sur le leadership des femmes. Le groupe s’est rencontré chaque semaine et a décidé, par consensus, du qui, du quoi, du où et du quand de l’événement. S’assurer de faire suffisamment de promotion pour attirer les adolescentes à leur événement s’est avéré crucial. Elles se sont donc donné un nom, OWL (pour Optimizing Women’s Leadership), et Marielle Rosenbluthleur a conçu un logo attrayant, qu’elles ont intégré à leur stratégie de communication. Trois conférencières reflétant une certaine diversité professionnelle ont été mises à contribution. Provenant du milieu des affaires, du milieu universitaire et du monde des arts, chacune y est allée, qui de statistiques et d’études, qui d’anecdotes, pour témoigner de l’inégalité qui persiste dans le monde du travail. À la suite de cette causerie, les organisatrices de l’événement ont utilisé une série d’exercices interactifs pour encourager les participantes à travailler en petits groupes et à proposer des idées pour surmonter les obstacles créés par les attentes culturelles dans le monde du travail. De plus, la formule des « rencontres éclair » a stimulé les troupes tout l’après-midi durant!

Cynthia Ankemah, immigrante récemment arrivée de Côte d’Ivoire, nous a présenté le quatrième projet, lequel a permis à un groupe de jeunes femmes du centre communautaire de la Côte-Des-Neiges de participer au programme de littératie numérique de la bibliothèque Atwater. Elles y ont créé un zine portant sur l’amour de soi. Cynthia se considère vraiment chanceuse d’avoir pu s’impliquer en tant que jeune leader du groupe. Elle est particulièrement reconnaissante pour les nombreuses ressources offertes au Québec. En Côte d’Ivoire, il lui était impossible d’étudier la technologie et l’art en raison du manque de programmes d’études à l’école et ailleurs. Pour les jeunes filles du groupe, dont la créativité est parfois minée par leur propre bagage socio-économique, la très enthousiaste Cynthia s’est révélée être un modèle idéal : « Nous avons commencé le projet comme si c’était un jeu, mais très vite, tout le monde s’est passionné pour ce que l’on pouvait faire avec Photoshop, Paint et d’autres programmes. Maintenant, je travaille même en 3D. Nous nous sommes rencontrées tous les samedis avec Naïké. Nous avons fait avancer nos projets en mangeant de nouveaux mets. » Elles ont mis leurs zines ensemble pour créer un court-métrage, disponible ici, tout comme le travail des autres groupes et les photos du projet 3i.

Le dernier projet, intitulé Makenin: The Making of New Leaders, a donné l’occasion à quatre jeunes leaders d’organiser une retraite d’une fin de semaine à l’île Saint-Bernard, où elles ont animé des ateliers de renforcement de l’autonomie à l’intention d’un groupe de jeunes filles. Livia Miyangadou nous a raconté le week-end et son expérience comme leader. Pour elle, le renforcement de l’autonomie a tout à voir avec nos choix de vie : nos décisions ont le pouvoir de favoriser — ou non — la bonne humeur et la santé. « Les gens recherchent deux choses : aimer et être aimé. La connaissance permet de faire des choix, et faire des choix rapproche de la liberté. Pour faire des choix judicieux pour notre santé, nous devons puiser au fond de nous-mêmes. » En raison de la courte durée de la retraite, les ateliers ont été intenses et bien remplis. Le groupe a créé une œuvre collective en transformant un mannequin noir de façon à refléter la douleur physique, l’amour du corps, le respect et la rédemption. Le mannequin vit maintenant dans le bureau d’ACS-Qc. Passez le voir pour ressentir toute la force qui se dégage de ce corps de femme noire.